Harcèlement scolaire : comprendre, prévenir et accompagner son enfant
Entretien avec Sandra Baudin, psychopraticienne et auteure à Limoges
Pendant vingt ans, Sandra Baudin a exercé comme CPE en collège, avant de devenir psychopraticienne spécialisée dans les relations interpersonnelles. Aujourd’hui, elle reçoit à Limoges des enfants et des parents confrontés à des situations de harcèlement scolaire. Elle nous partage ici son regard et ses outils pour comprendre ces dynamiques et agir avec justesse.
Qu’est-ce qui vous a conduite à vous spécialiser dans le harcèlement scolaire ?
Quand j’étais CPE, je voyais beaucoup d’élèves revenir avec les mêmes problématiques relationnelles, malgré les interventions des adultes. Ces enfants vivaient des situations qui se répétaient, souvent douloureuses, et je me suis rendu compte que mon action ne suffisait pas.
J’ai alors cherché ailleurs des outils pour comprendre ce qui se jouait. Et j’ai découvert qu’au-delà des comportements des “harceleurs”, il y avait souvent une forme de vulnérabilité chez les enfants ciblés, qui méritait d’être accompagnée pour leur permettre de poser leurs limites et s’extraire de situations toxiques.
Comment différencier un conflit d’une situation de harcèlement ?
Dans un conflit, il existe une égalité des forces : chacun peut rétablir un équilibre dans la relation.
Le harcèlement, lui, repose sur une relation déséquilibrée : à chaque interaction, l’un prend de plus en plus de pouvoir pendant que l’autre se sent impuissant et perd confiance.
Le travail thérapeutique vise donc à rétablir cet équilibre, soit en amenant celui “du haut” à redescendre, soit – et c’est mon approche – en redonnant du pouvoir à celui “d’en bas”, celui qui se sent victime.
Quels sont les signaux qui doivent alerter les parents ?
Les enfants parlent rarement tout de suite, souvent par peur d’inquiéter leurs parents ou des conséquences. Il faut donc être attentif aux signaux faibles :
Émotionnels : changement de comportement, mutisme, irritabilité, crises de colère ;
Physiques : maux de ventre, maux de tête, surtout le dimanche soir ou avant la rentrée ;
Matériels : affaires perdues, vêtements abîmés, objets qui disparaissent.
Ces indicateurs peuvent révéler une souffrance, même si l’enfant ne met pas de mots dessus.
Y a-t-il un profil type d’enfant harcelé ?
Pas du tout. On pense souvent que le harcèlement s’appuie sur une différence (physique, sociale, etc.), mais il s’agit plutôt d’un état de vulnérabilité passager. Cela peut concerner n’importe qui, à n’importe quel moment de sa vie.
Et aujourd’hui, beaucoup de situations de harcèlement naissent à l’intérieur des groupes d’amis, souvent sous forme de mises à l’écart ou d’invisibilisation, bien plus que d’agressions frontales.
Les réseaux sociaux amplifient ces dynamiques, mais elles prennent toujours racine dans la vie réelle, à l’école.
Comment aider son enfant à poser ses limites sans devenir agressif ?
La clé, c’est de renforcer l’enfant plutôt que de lui apprendre à se défendre “contre”. On lui enseigne à s’ancrer, à dire non, à exprimer ce qu’il ressent avec des phrases commençant par “je” plutôt que “tu” (“Je me sens blessé quand tu dis ça”).
Ensuite, on peut développer des compétences comme l’humour, l’autodérision, la répartie verbale. C’est une gymnastique relationnelle, un entraînement régulier à la maison.
Et comment réagir quand son enfant se confie ?
Avant tout, remerciez-le de vous en parler : c’est un acte de confiance énorme. Ensuite, évitez de dramatiser ou de “prendre les commandes”.
Une phrase que je donne souvent aux parents :
“J’ai l’impression que quelque chose ne va pas. Tu sais que tu peux m’en parler, et je ne ferai rien sans ton accord.”
Cela crée un espace sécurisé, où l’enfant sait qu’il reste acteur de ce qu’il vit.
Et si on découvre que son enfant fait partie du groupe de harceleurs ?
C’est difficile à entendre, car cela vient questionner nos valeurs éducatives. Il faut d’abord rappeler les valeurs fondamentales (respect, empathie, bienveillance), puis créer un léger inconfort si l’attitude ne change pas.
Le but n’est pas de punir, mais d’amener une prise de conscience : “À la maison, ce comportement n’est pas acceptable.” Parfois, ces enfants reproduisent des schémas de rapport de force qu’ils observent ailleurs. Mais dans la majorité des cas, c’est le plaisir immédiat du pouvoir qui domine.
Quand et comment solliciter l’école ?
Tout dépend du degré d’avancement de la situation. Si c’est récent, demandez à votre enfant ce qu’il souhaite : parfois, il a juste besoin d’être entendu. Si les faits sont graves (menaces, violence…), il faut contacter l’établissement, voire la cellule harcèlement du rectorat ou le numéro national 3018.
Mais il faut garder à l’esprit que ces démarches ne suffisent pas toujours à apaiser la souffrance émotionnelle. D’où l’importance d’un accompagnement thérapeutique parallèle.
À quel moment venir consulter un psychopraticien ?
Le plus tôt possible, dès qu’un doute persiste ou que le parent rumine la situation. Parfois, une seule séance suffit à apaiser, à clarifier les choses.
La première séance se fait toujours avec les parents, puis on voit s’il est utile de rencontrer l’enfant. Et souvent, en 3 à 5 séances, les enfants intègrent des outils concrets pour reprendre confiance et retrouver de la sécurité intérieure.
Quel message aimeriez-vous laisser aux parents ?
Ouvrez la porte à la discussion, même avec humour :
“Je suis ta mère, donc je m’inquiète sûrement pour rien, mais j’ai l’impression que quelque chose ne va pas. Si c’est le cas, tu peux m’en parler, et je ne ferai rien sans ton accord.”
Et surtout, n’hésitez pas à vous faire accompagner : en tant que parent, on ne peut pas tout gérer seul. Chacun son rôle, et demander de l’aide fait partie du soin.
À propos de Sandra Baudin
Sandra Baudin est psychopraticienne à Limoges, formée à l’approche systémique et stratégique de Palo Alto. Ancienne CPE pendant 20 ans, elle accompagne aujourd’hui les enfants, adolescents et parents confrontés à des difficultés relationnelles ou à des situations de harcèlement scolaire.
Elle est également auteure et membre active d’associations de prévention, notamment dans le cadre d’actions locales et de ciné-débats à Limoges.
🗓️ Prochain rendez-vous à Limoges
📅 Ciné-débat sur le harcèlement scolaire
📍 Espace Simone Veil – Limoges
🕖 Lundi 4 novembre à 19h00
Inscription via sa page instagram